
Grève et pierres volantes
Grêve
La majorité des roches que les promeneurs et les naturalistes sont amenés à rencontrer sur la grève sont des pierres volantes ;
autrement dit des pierres désolidarisées de longue date de leur substrat d’origine. Trouver leur origine n’est pas difficile lorsqu’elles sont en bas d’une falaise et qu’elles en ont les mêmes caractéristiques.
Il en va tout autrement dès lors que leur nature ne s’explique pas, d’emblée, par l’environnement qui est à portée de vue :
Les calcaires, les silex ou le charbon font partie de ces pierres que les marcheurs de la côte morbihannaise vont croiser, bien que certaines de ces roches sédimentaires (silex ou charbon) ne fassent partie ni de nos falaises ni de nos cartes géologiques départementales. Il est même possible de trouver, au moins d’une manière fragmentaire, des oursins fossilisés en silex et de type cidaridés, de la période Crétacé (sous-système sénonien), par exemple à Port-Louis alors que notre tableau stratigraphique ne mentionne aucune strate Mésozoïque en place (« ère secondaire ») dans notre département…
Galets
Les galets calcaires
La plus abondante de ces roches sédimentaires auxquelles nous sommes confrontés, de Gavres à Etel, est constituée de galets calcaires de grosseur variable accumulés par plaques à la force des vagues à marée montante. Ces accumulations qui se créent épisodiquement tout au long de l’année sur l’estran forment des tas en croissant dont la partie convexe fait face à la mer
- plage de Gavres
- concentrations en croissant de galets de la période éocène (photo PR)
. Nombre de ces galets montrent en surface (ou dans leur coupe) une multitude d’entités lenticulaires et dont la coupe présente une structure en spirale
- Nummulites laevigatus Eocène (lutétien) Gavres 56290
- deux foraminifères fossiles en coupe équatoriale
Ces entités de la taille d’une pièce de monnaie sont précisément appelées nummulites et sont des foraminifères , êtres monocellulaires se construisant une « coque » à croissance spiralée dont seule la dernière loge était habitée. Ces nummulites, aujourd’hui disparues, caractérisent la moitié inférieure du cénozoïque , période appelée, par là même, nummulitique (aussi Paléogène), et qui comprend le paléocène, l’Eocène et l’oligocène. Pour les calcaires qui nous concernent il s’agit plus précisément de l’Eocène au sein duquel 2 étages (Bartonien ou Lutétien ) sont plus précisément cités pour les galets calcaires contenant tantôt ces nummulites, tantôt des moules internes et externes de bivalves et gastéropodes divers, et tantôt des oursins irréguliers de forme ovale appelés Echinolampas . Un sable vert induré est, lui, situé dans l’Yprésien et contient presque exclusivement des nummulites.
Calcaires
De quelles zones proviennent ces calcaires ?
Une carte de géologie sous-marine du plateau continental entourant le massif armoricain des années 1970 révèle déjà que ce plateau est constitué de calcaires mésozoïques et cénozoïques
Une carte du BRGM réalisée en 1988 par Delanoë montre plus précisément, en face de Gavres ("G" sur la carte), que la couverture des calcaires Yprésiens et Lutétiens comprimés entre 2 failles, a été soulevée par des contraintes latérales qui l’ont amenée en position de quasi affleurement (formation en Graben).
Enfin la carte exemplaire éditée en 2008 conjointement par le BRGM et le CNRS de la marge continentale sud Morbihan dévoile avec précision un calcaire Lutétien-Bartonien (e5-6) en position sub-affleurante (pointillés) et en bordure rasante du tombolo de Gavres
Désenclavés par des houles de fond parfois fortes en zone subtidale, des blocs sont poussés et roulés jusque sur l’estran (on trouve même à Gavres des roches de Groix qui ont allègrement traversé toute la passe Est de Lorient..).
Comment se sont-ils déposés ?
D’origine détritique et parfois même biologique, mais toujours marine, ces calcaires se sont formé et déposé (après que le massif armoricain se soit érigé) sur les marges de cette montagne, et tout au long de la période pendant laquelle elle s’érodait et perdait petit à petit sa stature himmalayenne.
Silex
Et le silex ?
Les calcaires subissent parfois des dissolutions siliceuses générant du silex.
Du silex endogène au substrat de notre littoral a pu fournir en partie les oursins cidaridés dont j’ai parlé ci-dessus ; il a aussi fourni une partie du matériel de taille de nos ancêtres.
- cidaris du Sénonien (Crétacé) de Port-Louis 56290
- 2 plaques montrant les attaches ambulacraires des radioles du cidaridé (la base des "piquants" de cet oursin régulier.
Pierres "volantes" ayant "flotté"
Mais le silex mérite un paragraphe à lui seul car, selon les niveaux marins du pléistocène (variables selon les périodes climatiques), ce silex n’a pas toujours été à la disposition des hominidés de nos côtes qui n’ont parfois pas hésité à en importer d’autres régions françaises. Plus tard, les vicking et plus récemment, les bateaux à fond plat du XVII ème siècle se débarrassaient sur nos côtes de pierres (comprenant du silex) embarquées comme lest depuis les étapes précédentes comme Groix ou comme les côtes anglaises. Pour couronner le tout, du silex taillé en pierres à fusil était encore utilisé par les gardes de la compagnie des indes sur les fortins de Vauban (comme Port-louis) jusqu’au XVIIIème.
- pierre à fusil de Port-Louis 56290
- ce silex à la forme bien caractéristique était destiné à créer une étincelle à son contact avec le chien de fusil (photo et coll Ph.Roussel)
Ces silex n’ont donc pas toujours gardé la marque de leur époque et garderont pour certains le mystère de leur provenance.
Charbons
Le charbon :
Quand au(x) charbon(s), il(s) sont constitués en partie d’Anthracite (vrai roche sédimentaire litée) venu de Cardiff (pays de Galles) et importé par Lorient avec la révolution industrielle et notamment au début du 20ème siècle (90.000t en 1913)
- Anthracite de Gavres 56290
- un des morceaux de charbon dragué dans la passe ouest de Lorient. On y voit encore en surface les tubes du vers marin Pomatoceros triqueter
mais aussi parfois de brais de houille qui constituent, par contre, un produit élaboré par l’homme (distillation des goudrons de houille). Ce brai de houille était essentiellement utilisé pour le calfatage des bateaux mais aussi des baraques reconstruites à la hâte après les bombardements de Lorient à l’après guerre (1945), ne peut être confondu avec l’anthracite puisqu’il présente un aspect lisse et brillant et qu’il peut fondre, même au soleil,dès 40°C. Ce brai de houille servait aussi à créer des "boulets" de charbon en amalgamant la poussière d’anthracite induite par les diverses manipulations.
- 2 morceaux de brai de houille GAVRES 56290
En marge des transports et des déchargements, une partie de ces minerais et de ces constituants tombaient du bateau à l’ouverture des cales ou à « l’approche » du port, y compris au niveau de la « passe ouest » de Lorient. Les récents travaux de dragage dans cette passe, pour extraire 800.000 m3 de sable destiné à ré-ensabler Gavres, Larmor ou Lomener, ont contribué à disséminer un peu plus ce charbon historique sur le littoral du pays de Lorient.
Ces brassages de matériaux exercés par l’homme (on ne parle même pas des remblais poussés sur le littoral pour « gagner de l’espace ») sont une bonne illustration locale de l’ampleur géologique prise par les brassages humains de sédiments (grâce à sa force décuplée par les « énergies-esclaves »). Ils apportent des arguments puissants aux partisans de la définition d’un nouvel étage stratigraphique appelé Anthropocène (l’ère de l’homme).
paleo56
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