La roulotte aux trilos

Coques en stock

lundi 11 mars 2013 par paleo56

Le Spectacle

Au cours de l’année 2012, un évènement fut, pour les naturalistes   morbihannais de la région de Lorient et pour les habitants de la côte le spectacle à ne pas manquer.
Non ! il ne s’agissait pas d’une régate internationale, ni de la marée du siècle ; il s’agissait de la venue du Balder, bateau de dragage venu spécialement du Danemark pour démultiplier les moyens locaux et réensabler la plage de Gavres, voire accessoirement celles de La Nourriguel en Larmor et de l’anse du stole, près de Lomener, en Ploemeur.

Et ce fut effectivement un vrai spectacle que de voir, le jour, pendant des semaines, cette énorme barge technique, telle un animal mythique, sucer puis vomir sa sombre soupe de sable. Un vrai spectacle également que d’entendre, la nuit sur la mer silencieuse telle un vaste étang, le puissant et imperturbable bourdonnement de cette usine flottante ; illuminée comme une raffinerie, immobile à quelques encablures de Lomener. Chacune des plages ciblées devint tour à tour une dangereuse étendue mouvante sur laquelle, réglementairement, seuls, Bulldozers, pelleteuses et camions de carrière étaient autorisés à s’aventurer.

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le réensablement de Gavres
à droite du godet, la propulsion du "bouillon" sableux en sortie du tuyau provenant de la drague. Au fond les goelands en attente du généreux repas.

L’investissement

Officiellement, ce gigantesque chantier était écologiquement totalement neutre et sans conséquence pour l’environnement, uniquement au bénéfice de la sécurité des habitations riveraines menacées par l’élévation marine, et au bénéfice de l’incontournable économie touristique. Le dragage allait cependant approfondir la passe ouest   de Lorient et ainsi permettre aux cargos de 12 à 14m de tirant d’eau d’accéder, eux aussi, au port de Kergroise  . D’où les 800.000 tonnes de sables dragués pour 165.000 tonnes utilisées à réensabler. Le différentiel des 635.000 tonnes ayant été transféré et déposé jusqu’à ce jour dans la fosse du Grazu  .

Biosédimentaire

En s’approchant encore plus près du chantier, on y était surpris par une odeur nauséabonde n’ayant pas échappé aux milliers de mouettes qui attendaient leur « pause déjeuner » entre les phases d’éjection du bouillon :
Pas étonnant puisque, sur le plateau continental  , chaque type de sédiment  , selon sa profondeur et selon d’autres paramètres comme la température des eaux ou la vitesse des courants va attirer tel ou tel assemblage vivant : c’est ce qu’on appelle un ensemble bio sédimentaire (voir suite de l’article).

La zone de prélèvement, appelée « passe ouest de Lorient » par les navigateurs et par le SHOM  , non seulement n’était pas exempte de vie, mais était réputée, chez les rares plongeurs professionnels à y avoir travaillé, comme étant riche d’une grande biodiversité  .

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la passe Ouest de Lorient
La passe de navigation balisée où ont été dragué les sables éjectés à Gavres

Obligés, lors de la dernière marée noire d’Erika en 1999, à fournir les preuves (auprès des assureurs et des parties adverses) de dégradation (ou pas) de la biodiversité de l’estran   et des fonds sous la zone des marées, l’Etat et la Région Bretagne ont dû mettre en place, depuis 2003/2004, des projets comme REBENT   ou (re)créditer des organismes de recherche comme Ifremer, afin de relancer l’inventaire biologique du littoral  . Ces structures, pour lesquelles travaillent de nombreux chercheurs, ont :
• d’une part complété les carottages antérieurs par des sondages sismiques pour préciser la nature géologique du plateau
• d’autre part dressé les cartes de ces assemblages bio-sédimentaires.

Paleovallée

Il apparaît ainsi, dans la première de ces cartes destinées à préciser tout le pourtour géologique sous-marin du massif armoricain   (carte qui est celle du sud-Morbihan) que la « passe Ouest » correspond à une des 2 paléovallées du Blavet, dans le prolongement ouest de la rade.

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Paléovallées du Blavet
Sur la partie Ouest, la paléovallée la plus récente correspondant qui, en sortie de rade de Lorient, correspond à la passe Ouest.

* Ces paléovallées se sont creusées quand, sous un climat plus froid, le niveau de la mer était 12 à 30m plus bas qu’actuellement (et que la côte était à des kilomètres plus au sud)
* Ces paléovallées ont ensuite été remplies au pliocène et au Pléistocène   par des sédiments meubles quand, le climat se réchauffant et le niveau marin remontant, le Blavet continuait à rechercher son profil d’équilibre en comblant les zones aval surcreusées.

Ces sédiments meubles sont recensés, dans les cartes dressées par Rebent*, en fonction de plusieurs caractéristiques :
* leur positionnement par rapport aux profondeurs et à la zone de balancement des marées (zone intertidale, infra, sublittorale…)
* leurs caractéristiques granulométriques (vases, sables fins, graviers, autres…)
* Le milieu biologique, lui, est caractérisé par l’espèce la plus endémique   ou la plus abondante ou la plus structurante dans son milieu.

Malgré tout et au regard des observations faites sur le terrain, difficile de valider un des roses légendés sur la carte pour cette passe ouest. Ces roses font en effet référence à des graviers ou des sédiments hétérogènes qui n’ont rien à voir avec le sable fin rejeté par le Balder, sable qui comprend des particules grises, voire noires s’enfonçant et disparaissant sur quelques parties hautes de l’estran au grée de certaines marées.

La Faune

Enfin pour ce qui est de la faune en provenance de la passe ouest (voir le diaporama Faune de la passe Ouest de Lorient), et en ne prenant en compte que les organismes fraîchement recrachés par la suceuse, on a pu faire les constatations suivantes :

Une grande variété d’invertébrés marins reposait à la surface du nouveau sable, mais c’était principalement les Callista chiones, (les gros « vernis » vivants qui intéressaient les mouettes) ; quelques Bucardes dites « langues rouges » ou Acanthocardia tuberculata avaient également leurs 2 valves en connexion avec le mollusque à l’intérieur, mais ils étaient en nombre beaucoup plus restreint et étaient naturellement présents à Gavres avant le réensablement  .
La plupart des autres espèces de mollusques était rarement restées bivalvées et, de toutes façons, n’avait plus l’animal dans la coquille (exemple, la bucarde de norvège)., voire même comportait de très nombreux trous d’éponges ou était recouverte de Pomatoceros triqueter (vu sur bucarde de norvège et sur Glycyméris) ;
On remarquait également une grande profusion de grandes lutraires aux valves disjointes et isolées, de Turritella communis et de Dentalium entalis tous vides sans exception, ou de petits oursins irréguliers Genre Echinocyamus pusillus pas censés vivre dans le même milieu que les espèces précédemment citées.
Enfin on notera qu’un nombre important (mais pas majoritaire) de coquilles montre le même aspect de nuances grises à noires que le sable encaissant

De ces différentes observations on peut à priori déduire :

  1. que les Callista constituaient sans doute l’espèce majoritaire de la biocénose   en surface,
  2. que la part des coquilles colorées et vides est celle qui a sans doute convergé au fil du temps depuis différents milieux proches vers la paléo vallée, donnant une bonne illustration actuelle et locale d’une thanatocénose  .
  3. que la drague (qui amassait un stock tampon dans la fosse du Grazu) avait, par cette double manipulation , allègrement brassé le mort et le vivant avant de tout rejeter sur les plages à recharger.

En conclusion :
Bien loin de ce qui pouvait apparaître initialement comme une simple aspiration sédimentaire ayant piégé la faune incluse, cet ensemble de coquillages, ressuscités de leur sommeil millénaire pour une grande partie d’entre eux et réinsérés dans les sédiments de surface par la main de l’homme, a réactivé ce concept de « remanié   » si familier des paléontologues. Sa résurgence des profondeurs nous aura ouvert les portes magiques d’un monde noyé, détectable par les seuls spécialistes mais fréquenté par nos ancêtres, un monde de légende qui nous interpelle par mille questions et qui aura bien stimulé notre imagination.


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